Roman Josi a-t-il nui à Shea Weber défensivement?
Le puissant droitier a vu ses indices de possession pérécliter quand sa douce moitié, Ryan Suter, s'est tournée vers le Wild du Minnesota. Est-ce là une conséquence fatale du vieillissement, ou simplement que son nouveau partenaire Roman Josi n'arrivait pas à la cheville de son ancien?
Les panélistes, recruteurs et chroniqueurs voient en Shea Weber l'archétype du défenseur complet. S'ils reconnaissent qu'il n'est pas le plus agile avec la rondelle, ils le disent solide comme le roc en défensive, et généralement plus prudent que les autres arrières dits modernes.
Chez les férus de statistiques avancées, la facette qui sème ironiquement le plus d'inquiétudes dans le jeu de Weber est sa capacité à limiter le nombre de tirs dans son territoire. C'est exactement celle qui s'est écroulée lorsque Suter a levé les feutres - ce qui signifiait au même moment le début de son association avec Roman Josi.
Ses autres atouts sont presque restés intact. Il demeure un défenseur top-deux pour ce qui est de générer des tirs vers le filet. Puis, en 11 ans de carrière, et pile dans la trentaine, il vient d'enregistrer sa troisième campagne la plus productive en termes de points (53). On a beau fouiller et comparer toutes les données, il n'y a étrangement qu'une colonne qui change drastiquement.
S'il est vrai que Weber est un tantinet plus lent, et moins endurant qu'il ne l'était dans ses belles années, la mobilité et la grâce n'ont jamais constitué des éléments centraux de son jeu. C'est son positionnement efficace, son bâton actif, son physique imposant, et son adresse dans les situations de un contre un qui ont fait son pain et son beurre.
Alors, comment expliquer cette baisse de régime aussi soudaine sur le plan défensif? L'ancienne gloire des Rockets de Kelowna a-t-elle vraiment pris un coup de vieux de 2011-2012 à 2012-2013, soit de... 26 à 27 ans?
Strictement à ce chapitre, il semble que son association avec Josi lui ait mal servi.
Avant qu'on ne le jumelle au Suisse, Weber n'avait jamais connu d'ennuis dans sa zone. Du moins, pas selon les résultats. De 2007 à 2012, les Prédateurs ont accordé moins de tirs lorsqu'il foulait la glace. Et l'indice xG (Projection du nombre de buts) - qui calcule le nombre de filets qui auraient dû être marqués selon les probabilités (angle, emplacement, type de tir, etc.) -, le montrait même supérieur à Suter.
Bien qu'encore jeune, Josi, de son côté, n'a jamais prouvé être capable de réduire le nombre de tirs contre son équipe. Il est toutefois difficile de distinguer la contribution de Josi de celle de Weber et vice-versa, car ils ont pratiquement toujours fait la paire depuis 2012-2013.
La seule saison durant laquelle il n'a pas joué avec Weber à temps plein est sa première dans la Ligue, en 2011-2012. Le rapide gaucher a vu son équipe obtenir seulement 42,7% des lancers lorsqu'il était sur la patinoire. En sa présence, les Preds ont aussi accordé 7,93 tirs de plus par heure de jeu. Et quand Josi quittait la patinoire, la part des tirs de son équipe augmentait de 5,6%.
Pour tout dire, le jeune s'est fait trouer comme du fromage... suisse.
La théorie semble se confirmer lorsqu'on observe les tableaux WOWY (Avec et sans toi) de David Johnson. Au cours des deux dernières années, l'Olympien s'en est mieux tiré sans Josi, alors qu'on ne peut en dire autant de ce dernier - surtout en défensive (tiens, tiens...). À noter que le petit échantillon de données peut brouiller les pistes.
Illusion de complémentarité
Il semble illogique que ces deux joueurs ne soient pas parvenus à une parfaite complicité, parce que leurs forces et faiblesses peuvent apparaître complémentaires à première vue.
Josi est un défenseur plus petit, qui a plus de difficultés à séparer le porteur de la rondelle en espace restreinte. Lorsqu'il ne possède pas le disque, il semble hésiter et manquer d'assurance. Son positionnement est parfois erratique. Au final, il peine à regagner la rondelle.
C'est lorsqu'il la saisit qu'il a tout l'air d'un candidat au trophée Norris. Le Suisse est l'un des meilleurs du circuit pour quitter le territoire, grâce à son incroyable mobilité. Il passe la rondelle avec aplomb, et bourdonne comme la plus dynamique des abeilles en zone adverse.
.@PredsNHL Jones is 15th among #NHL d-men (2nd on #Preds)for successful possession driving plays ; teammate Josi ranks 1st in the #NHL
— Christopher Boucher (@Chris_LogiQ) December 9, 2015
Weber est plus prudent. Il triche un peu pour bien surveiller les options qui donneraient un haut pourcentage de marquer à l'autre équipe (une qualité que Arik Parnass avait applaudie plus tôt cette année) et excelle pour interrompre une possession en cycle (cycling) au bas des cercles, car il est un colosse. Il pourrait être plus agressif à sa ligne bleue pour prévenir les entrées de zone, mais étouffe les attaquants une fois arrivés dans son territoire. Le numéro 6 manque cruellement de créativité lors des sorties de territoire, et optera souvent pour un dégagement à l'aveuglette au lieu de temporiser et repérer une option de passe directe. Aussi, il ne monte pratiquement JAMAIS avec la rondelle, en comparaison aux autres arrières de catégorie élite.
Le Ying et le Yang, donc? Pourquoi ces deux-là ne s'entendent-ils pas, défensivement parlant?
Chez les Preds, on remarque que Peter Laviolette a réparti de manière très rigide les tâches du duo. Josi était l'élément offensif chargé d'effectuer les sorties de zone, et de patiner avec le disque, alors que Weber allait être le pilier défensif, plutôt statique, qui demeurerait en retrait pour faire contrepoids à l'audace son compagnon.
À cet effet, l'analyse de Corey Sznajder, qui faisait un retour sur la série Ducks-Prédateurs, est très éloquente: "Weber joue de façon beaucoup plus prudente [que Josi] et ça semble être une partie du système de Nashville, considérant à quel point Josi est sollicité pour transporter la rondelle. Le duo en a arraché sur le plan de la possession, et je me demande si le fait de miser sur un défenseur pour faire tout ce travail a quelque chose à voir là-dedans. Ce n'est même pas que Weber ne transportait pas la rondelle, il ne la touchait même pas en zone neutre," a-t-il noté.
Laviolette a voulu exploiter au maximum les forces de chacun, mais cela a vraisemblablement eu l'effet contre-productif d'exacerber les faiblesses de Weber, et d'en faire un défenseur encore moins impliqué et dynamique à cinq contre cinq.
Les carences de Josi en récupération de rondelle ont également été exposées. Si le Suisse multipliait les actions qui contribuaient à faire avancer le disque vers la zone offensive, il n'en demeurait pas moins fragile dans des situations défensives, une constante depuis ses débuts dans la LNH. C'est ainsi qu'un "puck-mover" des plus habiles peut perdre la bataille territoriale. Une étude de Micah Blake McCurdy a prouvé que les capacités de générer et limiter les tirs étaient dissociables. Le mythe voulant que "la meilleure défensive soit l'attaque" a ainsi été détruit.
Le partenaire parfait pour Weber
Il est tentant de croire que le partenaire fait sur mesure pour Weber est un spécialiste du jeu de transition. La vérité est que Weber a affiché sa forme olympienne avec des défenseurs polyvalents un brin (ou deux) plus mobiles que lui. Il a d'abord bâti sa réputation de joueur d'élite à la droite de Ryan Suter. Mais il a aussi prouvé pouvoir s'intégrer au jeu de possession rapide de Mike Babcock à Sochi, en complétant efficacement Duncan Keith - le duo Keith-Weber a compilé un bilan à sens unique de 47 chances de marquer contre 15 durant le tournoi.
Non seulement Keith et Suter bougent bien la rondelle - mais, à l'instar de Weber, ils ne la transportent pas beaucoup! -, ils peuvent stopper l'hémorragie avant que l'adversaire ne réussisse à établir une possession éreintante en zone offensive, ce que Josi n'était pas en mesure de faire.
À vrai dire, Weber n'est pas un mauvais passeur - ses passes ont un haut taux de réussite. Mais s'il ne repère pas une option dans les deux premières secondes, il expédiera systématiquement la rondelle par la rampe. Cela fera jubiler Michel Therrien, car il estime qu'il vaut mieux accélérer la cadence de jeu en jouant sans délai et hésitation. Enfin, le support des attaquants en zone défensive sera donc crucial.
Dans les bonnes conditions, Weber pourrait retrouver un peu de sa superbe en possession de rondelle. Il n'est pas forcément mauvais dans ce département, il devient simplement plus capricieux avec l'âge et a besoin d'un partenaire avec lequel il développera une synergie en couverture défensive.
Lui et Suter avaient une communication parfaite et bénéficiaient énormément l'un de l'autre. Au sein du Canadien, il est à espérer que Nathan Beaulieu, ou encore Mark Barberio, puissent cultiver des atomes crochus avec le vétéran.
Je soupçonne également que la réputation du médaillé olympique, surfaite ou non, en met beaucoup sur les épaules de son partenaire de défense, puisque les attaquants préféreront attaquer le flanc gauche (et éviter quelques ecchymoses le long des bandes). Cela accentue l'importance de déployer un joueur complet à ses côtés.
La question à mille dollars est de savoir si le Canadien demandera à Weber d'être plus dynamique et engagé dans les trois zones qu'il ne l'était à Nashville, où Laviolette a réduit son champ d'action.
À Montréal, il sera clairement perçu comme le défenseur numéro un de la brigade, ce qui vient avec de grandes responsabilités. Enfin, Pierre Allard pourrait, qui sait, lui conseiller de perdre quelques livres durant l'été, histoire d'adapter son jeu de pieds au hockey moderne.