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École d’été (des indiens) sur les statistiques fines: Obsession possession !

Ou, comme le chantaient si bien les immortels Hall & Oates, “it’s a case of Possession Obsession !”

Rsz_game49-hall_medium Non, pas ce Hall là…

Oates_medium … et pas ce Oates là non plus. Incultes!

Voilà donc la saison entreprise, avec son lot de surprises (Patrick Roy, le Mario Tremblay des temps modernes), de lieux communs réconfortants (“le CH est trop p’tit!”), de constats percutants (“c’est l’année de vérité pour Price”), de critiques aiguisées (“Desharnais, c’t’un pourrite!”), d’éblouissants traits de génie (“avec 15 livres de plus, Eller est bien trop lent”) et de volte-faces acrobatiques (“Eller, quel homme!”).

Heureusement, nous sommes là et, contre vents, marées et le début de saison des Maples Leafs de Toronto, nous continuons vaillamment à porter bien haut le flambeau de l’analyse raisonnée basée sur les statistiques fines!

C’est pourquoi la fin de l’été ne signifie pas pour autant la mise au rancart de notre série d’articles de vulgarisation (hélas! produits jusqu’ici avec la vitesse foudroyante d’un Douglas Murray en réhabilitation… heureusement, ça frappe!).

Au contraire, ayant jusqu’ici déblayé le terrain en éclaircissant la nature et le rôle des statistiques fines, en rappelant les problèmes créés par l’échantillonnage limité et en dénotant l’insuffisance des statistiques fondées sur les buts (les +/- en sont l’exemple le plus frappant), nous voilà désormais prêts à entrer dans le vif du sujet.

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Si, comme nous le disions précédemment, le but du hockey est d’en marquer, la réussite de l’opération dépend largement de facteurs qu’il est impossible de contrôler. C’est l’une des raisons fondamentales qui font des statistiques basées sur les situations de but des indicateurs de performance peu fiables, notamment pour ce qui est de prédire les résultats futurs.

L’objectif réel d’une équipe ou d’un joueur est donc plutôt de maximiser ses chances de compter, en se fiant sur l’effet de probabilité pour obtenir le résultat souhaité. Or, pour ce faire, il faut d’une part s’emparer de la rondelle et la garder, et de l’autre, s’efforcer de porter le jeu en territoire adverse et y rester. “Quand on a la puck, l’autre ne peut pas scorer”, comme on dirait à l’Antichambre (“Du moins, d’habitude!”, ajouteraient en choeur Roberto Luongo et Dan Hamhuis…)

C’est précisément ce pourquoi les statistiques fines se focalisent plutôt sur la possession de la rondelle. Ce faisant, on ne discrimine pas entre les situations résultant en un but ou non. Comme, en toute logique, plus on a la rondelle, plus on a de chances de marquer, et moins l’adversaire en a, on devrait trouver une forte corrélation entre la possession de la rondelle, le différentiel de buts et les victoires…

Et c’est bien le cas. L’intuition qui nous porte à croire que l’équipe qui contrôle la possession durant la majeure partie d’un match domine l’adversaire et devrait finir par l’emporter (si Dame Chance n’en décide pas autrement) est corroborée par les faits. Les calculs ont démontré que cette corrélation entre la possession, les victoires et les succès futurs existe bel et bien. La possession est donc un meilleur moyen d’évaluer la qualité, et de prédire la performance future d’une équipe ou d’un joueur que les seules situations de but.

Ex cursus: des statistiques brutes aux statistiques épaisses


La possession est d’une importance capitale pour ce qu’elle représente, certes, mais aussi à titre de révélateur de la futilité de certaines autres statistiques pourtant très populaires. On parle ici des revirements, des tirs bloqués et – surtout! – des mises en échec.

En premier lieu, bien que ces chiffres figurent au tableau officiel de la LNH, leur compilation est d’une fiabilité discutable. Cela varie d’une patinoire à l’autre et même d’un jour à l’autre selon l’identité ou l’humeur des officiels mineurs qui en ont la charge. Mais cela n’est qu’un irritant. Le réel problème est ailleurs.

En effet, ces statistiques ont en commun la triste particularité de nous indiquer précisément le contraire de ce qu’on leur fait généralement dire, relevant bien davantage du bonnet d’âne que de la médaille d’or. C’est pourquoi, loin de déplorer le fait que votre équipe fasse mauvaise figure au chapitre des tirs bloqués, des revirements négatifs (giveaways) ou – honte! – des mises en échec, il y a lieu de vous réjouir!

La raison tient en un mot: la possession. Car ces trois “lacunes” sont en réalité des indicateurs de possession positive.

Josh Gorges serait le premier à vous confirmer qu’un nombre de tirs bloqués très élevé n’offre pas de quoi se vanter. Loin de dénoter une équipe à la défensive étanche, il indique plutôt une équipe qui n’a que rarement la rondelle, et qui joue la majeure partie du match dans son propre territoire. Autrement dit, une équipe qui, plus souvent qu’à son tour, donne des buts…et perd. Ainsi, en 2010, les Islanders, le Wild et le CH ont dominé cette catégorie – avec les résultats déplorables que l’on sait – alors que les Kings et les Devils, qui fermaient la marche en 29e et 30e position, se sont disputés la Coupe Stanley.

Dans le même ordre d’idée, il est préférable de mener dans la catégorie des revirements négatifs (giveaways) que positifs (takeaways), si tant est qu’il faut être en possession de la rondelle pour se la faire enlever. Par ailleurs, lorsqu’on l’a déjà, on ne peut l’arracher à un adversaire!

Nulle part ne trouve-t-on un indice plus éclatant que dans la colonne des mises en échec. Ah, la robustesse! Qui n’a pas entendu un “expert” quelconque (ou même très quelconque!) s’extasier sur la domination physique exercée par une équipe qui présente un avantage appréciable dans cette catégorie, ou sur sa désirable capacité à intimider l’adversaire? Or, ces chiffres ne révèlent rien de tel.

En fait, puisqu’une mise en échec légale a pour but de séparer l’adversaire de la rondelle, un taux élevé de mises en échec nous indique généralement le fait que l’autre équipe a constamment maintenu possession du disque, et que votre équipe a passé son temps à courir après l’adversaire. Difficile de frapper quand on a toujours la rondelle, comme diraient les Black Hawks, bons derniers en la matière depuis deux ans!

Témoin les dernières séries du CH: alors que l’on se plaît à affirmer que les Sénateurs ont physiquement intimidé les Glorieux ce printemps (affirmation d’une fausseté patente, d’ailleurs, même à l’œil nu!), le léger ratio positif de mises en échec fait pendant à l’avantage tricolore en termes de possession (près de 56% des chances de marquer à forces égales). C’est bien Montréal qui a dominé Ottawa, et non l’inverse, ce qui aurait dû se traduire par la victoire… n’eût été de la prestation étincelante d’Anderson et de celle, moins reluisante, du duo Price/Budaj. Toutes deux sont d’ailleurs impossibles à maintenir sur le long terme – mais il n’y a pas de long terme en séries : ah, les joies de l’échantillonnage limité!

Les mises en échec sont en fait l’une des statistiques les moins parlantes qui soient. Leur corrélation avec les buts marqués ou les victoires est inexistante. Et pourtant, ne voilà-t-il pas qu’on se retrouve avec Parros et Murray en bleu-blanc-rouge… Bon, restons-en là!

Disparition mystère: qu’est devenu le taux de possession?

Puisque la possession est d’une importance si capitale, il suffit donc d’en regarder les taux – voilà le problème réglé, direz-vous. Pas si vite!

L’ennui, c’est que la LNH, contrairement à d’autres ligues, a cessé de comptabiliser officiellement le temps de possession, nous privant ainsi de précieuses données. Il faut donc trouver une technique qui nous permette de l’appréhender… sans nous forcer à regarder tous les matchs de la saison un chronomètre à la main. Qu’à cela ne tienne! Les alchimistes de la statistique fine nous ont concocté un intermédiaire tout ce qu’il y a de plus efficace.

En effet, la possession de la rondelle ne donne rien en soi, si elle ne s’accompagne pas de tentatives de marquer. En d’autres termes, une fois l’objectif de s’emparer de la rondelle et de porter le jeu en territoire adverse atteint, il faut aussi lancer au but, en espérant que la rondelle se fraie un chemin dans le filet. C’est donc ici qu’interviennent les instruments fétiches de la statistique fine que sont les tirs vers le filet.

Du point de vue statistique, le nombre de tirs tentés représente une base de prévision plus fiable que les buts, puisque l’échantillon disponible est évidemment bien plus volumineux. Par ailleurs, les situations impliquant un tir tenté sont bien plus nombreuses et plus représentatives de l’ensemble du jeu que celles où un but est marqué. En outre, la capacité d’obtenir et de maintenir le contrôle de la rondelle est davantage fonction du talent d’une équipe ou d’un joueur que son seul taux de réussite (i.e. de conversion de tirs en but), surtout à long terme, lorsque s’aplanissent les effets de la chance.

Voilà pourquoi les statistiques fines accordent autant d’importance aux tirs tentés: les calculs statistiques ont établi que le nombre de tirs au filet offre approximation acceptable du taux de possession. Il faut, après tout, être en possession de la rondelle, préférablement en territoire adverse, pour tirer au filet. C’est donc dire que la corrélation évoquée précédemment entre les victoires, les succès futurs et la possession s’étend aussi au nombre de tirs tentés, qui s’en veut une traduction valable.

Or, que la probabilité de marquer soit proportionnelle au nombre de tirs tentés ne devrait surprendre personne. On peut même affirmer que le hockey est essentiellement un sport où les adversaires tentent non pas de marquer en tant que tel, mais de tirer au but, puisque les résultats, positifs ou non, découlent des mêmes efforts : pour tenter de compter, il faut tenter de tirer (rares sont ceux qui font exprès de viser à côté !). À long terme, ce ne serait donc pas l’efficacité des tirs, mais le volume qui… compte!

(Cependant, d’aucuns – parmi lesquels on retrouve aujourd’hui la grande majorité des fans des Maple Leafs de Toronto! – soutiennent au contraire que la quantité des tirs peut être mitigée par leur qualité: mieux vaudrait donc tirer moins souvent, mais plus précisément, en quelque sorte. C’est un argument qui connaît de beaux jours sur twitter ces temps-ci. On y reviendra.)

Mais attention! qui dit tirs tentés ne dit pas nécessairement “tirs au but”, dans l’acception que s’en fait traditionnellement la LNH. Que nenni! ne faisant jamais rien comme tout le monde, les adeptes de statistiques fines se basent plutôt sur les définitions que leur ont léguées deux observateurs aux parcours bien différents: messieurs Corsi et Fenwick

… dont il sera question au prochain épisode!

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