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Analyse vidéo de Shea Weber: le pari de la qualité

En analysant chaque séquence de Shea Weber lors des matchs face aux Coyotes, aux Bruins et aux Flyers, on peut faire les constats suivants: Weber s’en est mieux tiré jusqu’à maintenant sans Nathan Beaulieu et semble avoir un impact positif sur la qualité des tirs contre, même s’il en accorde, au volume, beaucoup.

Voyons comment.

L’apprentissage de Beaulieu

Lorsqu’on s’attaque au compte des chances de marquer dans de petits échantillons, il est primordial de saisir la nuance suivante: une chance survenue alors qu’un joueur X est sur la patinoire n’est pas forcément une chance que ledit joueur a lui-même accordée.

Face aux Bruins et aux Coyotes, Weber a écopé des largesses d’un jeune défenseur en phase d’adaptation. Du troisième duo l’an passé à la gauche de Weber, face aux meilleurs éléments adverses, durant plus 20 de minutes par match, la charge de responsabilités de Nathan Beaulieu a changé du tout au tout.

Sur la séquence ci-basse, on pourrait penser, au premier coup d’oeil, que Weber s’est compromis par mégarde en voulant terminer sa mise en échec sur Tobias Rieder. Toutefois, il faut noter que Rieder était l’homme assigné à Weber, après que ce dernier ait maladroitement jonglé avec la rondelle en zone offensive – ce que le gif ne montre pas. Il y a mésentente entre lui et Byron, qui devrait aussitôt appliquer une pression arrière. Heureusement, il vient rapidement annuler le surnombre: le Canadien défend en bonne position, en situation de 2 contre 2. Le hic, c’est que Beaulieu n’a pas son bâton dans la ligne de passe et donne beaucoup trop d’espace à Dylan Strome, qui obtient une bonne chance de marquer du haut de l’enclave.

Autre chance de qualité: Shane Doan échappe à la couverture de Beaulieu dans le corridor droit et file seul devant Price.

Weber intercepte une rondelle en zone neutre. Brad Marchand la récupère et repère David Pastrnak qui défie Beaulieu à un contre un. Dans ces situations, on conseille les défenseurs de fixer les hanches de l’attaquant adverse, puisqu’elles ne mentent jamais – on ne peut feinter avec cette partie du corps. Beaulieu allonge son bâton, permettant à Pastrnak de le contourner par la gauche et de prendre un tir à l’orée de l’enclave.

Weber tente de prendre Riley Nash au corps, qui réussit à se faufiler derrière lui. Beaulieu calcule mal son intervention et voit Jimmy Hayes passer devant lui derrière le filet. Les ailiers Torrey Mitchell et Brian Flynn décident de “collapse” pour défendre l’enclave. Flynn vient en support à Beaulieu, et délègue la couverture de Beleskey à Mitchell, qui doit abandonner John Michael-Liles. Ce dernier est laissé libre et prend un bon tir dans la zone des chances de marquer.

Enfin, dans les derniers instants de la rencontre, Beaulieu se compromet d’un côté et donne le centre de la glace à David Pastrnak, qui le déjoue à nouveau. Weber est laissé à lui-même dans une situation de 2 contre 1 et ne peut faire mieux que de rétrécir le plus que possible la ligne de passe.

Ce genre de séquences nous font comprendre pourquoi l’association Beaulieu-Weber a pu paraître infructueuse par moments, en zone défensive. Il est encore tôt pour se prononcer, mais Alexei Emelin a mieux complété le numéro 6 lundi dernier, alors que le Canadien recevait les Flyers. Il n’en demeure pas moins une solution temporaire avant que Beaulieu ne reprenne de sa superbe.

Récupération de rondelle

Sur ce plan, c’est le jour et la nuit entre le statique, économe Shea Weber et le flamboyant, dynamique P.K. Subban.

La séquence ci basse en est ô combien révélatrice. Weber a une avance considérable sur Brad Marchand pour aller récupérer une rondelle libre. Vous pouvez parier votre plus belle chemise que Subban se serait empressé de saisir le disque, l’aurait protégé à une main du côté du revers et se serait évadé de la pression en patinant avec celui-ci. Beaucoup plus timide, le numéro six fait au moins une bonne lecture de jeu. Il se colle à la rampe et jette un coup d’oeil vers Beaulieu, mais remarque que Pastrnak le surveille bien en tant que F2. Weber décide donc de pousser le disque à contre-courant, par la bande. Le Canadien parvient à dégager son territoire avec l’aide de Plekanec et Radulov.

Ce qui aurait pu être une sortie de zone du côté du Canadien devient plutôt un rejet en zone neutre. Le CH n’a pas accordé de tir, de chance. Il a neutralisé l’échec avant de Marchand, Bergeron et Pastrnak. Mais il doit néanmoins dépenser d’autres efforts pour reprendre la rondelle.

Exemple #2

Exemple #3

Parce qu’il joue souvent le porteur de la rondelle au corps, en le pétrifiant contre la rampe grâce à sa montagne de muscles, Weber ne récupère que très rarement lui-même les rondelles. Il dépendra beaucoup du travail en appui de ses attaquants qui devront intervenir intelligemment avec leur bâton pour prendre possession du disque.

Ainsi, l’atout principal de Weber demeure sa capacité à étouffer la circulation en fond de territoire. Le passing project de Ryam Stimson et les études de Steve Valiquette prouvent que les tirs les plus dangereux sont ceux qui succèdent une passe provenant de l’arrière du filet, car le gardien doit tourner son cou à 180 degrés pour prendre une nouvelle information. Sur la séquence ci-basse, Wayne Simmonds tente de pivoter derrière la cage de Carey Price, mais la présence physique du défenseur l’empêche de tenter quelconque jeu menaçant.

Ici, Weber ne donne aucune chance à Brayden Schenn de se mettre en position pour une déviation ou un retour de lancer. Lorsque le jeu se transporte derrière le filet, il gagne facilement l’épreuve de force.

Cette façon de faire, qui mise sur une relation symbiotique avec ses attaquants et son partenaire de défense, fait également en sorte que Weber récupère peu de rondelles, et ne permet pas à son équipe de les récupérer aussi rapidement que Drew Doughty, P.K. Subban ou Erik Karlsson, à titre d’exemple. Par conséquent, il arrive que beaucoup de tirs de l’extérieur soient alloués lorsqu’il est sur la glace. Davantage que son aversion à patiner en possession du disque, c’est là sa faiblesse notable.

On le sait, le hockey est un sport chaotique qui peut laisser une grande influence à la chance. Le moins on accorde de lancers, au volume, le mieux c’est, puisque le risque de voir une rondelle qui bondit capricieusement aboutir derrière la ligne rouge est moindre – le fameux cliché “tout peut arriver lorsqu’on envoie la rondelle au filet”. Mais, les gardiens d’élite – et Carey Price en est un – transcendent-ils cette règle? Voilà une question qui mérite d’être posée.

À titre d’exemple, les recherches de Steve Valiquette montrent qu’Henrik Lundqvist arrête 97,7% des lancers lorsqu’il a la vue dégagée. Aussi, le Suédois n’a concédé aucun but en 2015-2016 sur un tir du haut des cercles qu’il pouvait voir. Lorsqu’un seul joueur lui fait écran sur un tir de la pointe, il montre un taux d’efficacité de 94,5%. C’est seulement 1,65 but par tranche de 30 tirs cadrés accordés. Il serait intéressant de mesurer les performances de Carey Price à ce chapitre. Sont-elles encore meilleures?

Jeu défensif

Ce sont particulièrement les qualités défensives de Weber sans la rondelle qui sont vantées jusqu’à plus soif aux quatre coins de la LNH. Et ces louanges ne sont pas sans fondement.

Le puissant droitier est rarement éliminé en situation de un contre un. En donnant un bon angle à son bâton et en se positionnant astucieusement, il force les attaquants à emprunter des trajectoires linéaires, ce qui facilite le travail des gardiens de but, tel que l’a expliqué Chris Boyle.

Exemple #2

Exemple #3

Le jeu défensif de Weber est essentiellement très prudent. Le mastodonte focalise son attention sur les zones névralgiques en s’efforçant de bloquer la ligne de passe à travers l’enclave (plus précisément la Route Royale), et se tient à proximité de son gardien pour rester à l’affut des retours de lancer ou nuire aux joueurs qui voudraient tenter une déviation.

Exemple #2

Depuis le début de sa carrière, et même depuis sa séparation de Ryan Suter, Weber est reconnu pour concéder une proportion étonnamment basse de tirs dangereux. Or, en ce début de saison, il a été sur la glace pour un nombre alarmant de chances de marquer contre lui (21, le 2e plus grand total après Beaulieu chez les défenseurs de l’équipe, selon Corsica.hockey). Mais de combien d’entre elles a-t-il été personnellement responsable? De ce qui a pu être analysé, cela ressemble davantage à une anomalie causée par la petite taille de l’échantillon – combinée aux récents déboires de Beaulieu.

Sur cette séquence, par exemple, Galchenyuk ne surveille pas Max Domi devant le filet, alors que Weber est sur la glace.

Exemple #2: Gallagher ne se replie pas assez rapidement pour stopper le défenseur Oliver Ekman-Larsson, qui a appuyé l’attaque. Autre chance de marquer.

Zone neutre

Les données colligées par Dmitri Fillipovic lors des dernières séries éliminatoires ont fait état d’une grande efficacité de Shea Weber en zone médiane, pour ce qui est d’empêcher l’adversaire de percer le territoire offensif en contrôle.

Cela m’est manifestement apparu comme une force de son jeu lors des matchs que j’ai décortiqués. Weber est particulièrement agressif en zone neutre, alors qu’il intercepte les rondelles à l’aide d’un bâton bien placé et d’une charpente très large. S’il veut opter pour cette stratégie et jaillir audacieusement, il importe qu’on le jumelle à un partenaire plus mobile qui saura couvrir le centre de la glace. Alexei Emelin, qui a souvent montré un manque de synchronisme dans ses pinchs, devra être en mesure de reconnaître ces situations s’il désire être plus qu’une solution temporaire aux côtés de Weber.

Exemple #1

Exemple #2

Exemple #3

Exemple #4

Exemple #5

Exemple #6

Relance et jeu offensif

La première option il verra, cette option, il choisira.

La relance de Weber est régie par ce principe très simple.

Pas de schéma de sorties de territoire complexe. Pas de déplacements pour ouvrir une ligne de passe ou de savantes montées à travers la zone neutre. Des passes courtes, simples et prévisibles à un coéquipier mis en évidence.

Exemple #2:

S’il n’y a pas d’option, le lob ou le rejet par la rampe est favorisé. La plupart du temps, la rondelle quitte la lame du défenseur une fraction de seconde après qu’il l’ait touchée.

Pif. Paf. Pouf. Choisissez votre onomatopée.

Pour le meilleur et pour le pire, Weber ne se complique pas la vie.

Parfois, ses interventions rapides alimentent les contre-attaques en surnombre.

Exemple #2

En zone offensive, Weber quitte rarement la pointe et il y effectue une série de jeux simples, rapides et efficaces. Il décoche sans avertissement un lancer des poignets précis, avec la bonne vélocité pour générer des retours intéressants pour ses attaquants.

Intelligent, il opte pour l’option à haut pourcentage. Alors qu’il aurait très bien pu précipiter un tir sur cette séquence, il a amélioré ses probabilités offensives en exploitant la ligne de passe à travers la route royale.

Conclusion

Non, le gardien derrière Shea Weber ne continuera pas d’arrêter 98% des rondelles en sa direction.

Oui, le différentiel de Weber est trompeur, car les joueurs adverses auraient pu profiter des nombreuses chances de marquer accordées par son équipe lorsqu’il était sur la glace.

Non, Shea Weber n’a pas pour autant accordé beaucoup d’occasions à l’adversaire, individuellement. Pourvu que son partenaire de défense et que ses coéquipiers s’améliorent autour de lui, parions que tout ça se stabilisera au fur et à mesure que l’échantillon s’agrandira.

Le numéro six est le dernier d’une race de défenseurs en voie d’extinction dans la nouvelle LNH, jeune et rapide. Il se veut un filet de sauvetage travaillant de concert avec son gardien et ne manipulant qu’occasionnellement la rondelle. Défensivement, Weber fait le pari de la qualité au détriment de la quantité. Jusqu’à maintenant, Carey Price lui rend bien…

On saura, au bout de 82 matchs, si cette stratégie est la bonne.

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